Le 21 décembre 2022, le Tribunal correctionnel de Versailles a rendu un jugement définitif condamnant les auteurs responsables de coupes illégales à Grosrouvre, dans les Yvelines.
Ce jugement marque l'aboutissement d'un important travail des associations de protection de l’environnement Sauvons Les Yvelines et Jonction des Associations de Défense de l’Environnement (JADE), accompagnées par Maîtres Marc Pitti-Ferrandi et Marion Giard aux côtés de la Commune de Grosrouvre.
Contexte de l’affaire : Une coupe d’amélioration détournée et de multiples infractions aux règles de gestion forestière
L'affaire remonte à 2021, lorsque des coupes d'arbres ont été réalisées sur un terrain forestier protégé en tant que zone naturelle et Espace Boisé Classé (EBC). Les coupes autorisées par un arrêté d'avril 2021 devaient être limitées à une coupe d’amélioration de la forêt.
Cependant, les travaux réalisés ont rapidement suscité l’inquiétude des riverains et des associations locales. Ces dernières ont constaté que les conditions de l’autorisation n'étaient pas respectées. Loin de se limiter à l’abattage sélectif d’arbres malades ou dangereux, les responsables ont coupé de nombreux chênes centenaires.
Non seulement les coupes ont excédé le volume de bois autorisé, et les arbres les plus précieux ont été illégalement abattus, mais les auteurs des coupes ont littéralement massacré les parcelles forestières en détruisant les semenciers et en causant des dommages aux jeunes arbres, compromettant la régénération naturelle du site.
Condamnation pénale pour délits forestiers : aboutissement d'une mobilisation citoyenne et environnementale
Face à ces atteintes à l’environnement, les associations locales Sauvons Les Yvelines et JADE ont déposé plainte en décembre 2021. Le maire de Grosrouvre, ayant constaté les faits, a immédiatement ordonné l'interruption des travaux et à son tour déposé plainte.
Dans son jugement rendu le 21 décembre 2022, le Tribunal correctionnel a reconnu la culpabilité des responsables pour les délits de coupe abusive et de non-respect des conditions de l’autorisation de coupe. Les prévenus ont notamment été condamnés à diverses amendes, ainsi qu'à verser 20.500 euros aux associations et la commune de Grosrouvre.
S'agissant du délit de coupes en violation des conditions fixées par l’autorisation de coupes, ce dernier est prévu par l’article L362-3 du Code forestier aux termes duquel :
« Lorsque les conditions auxquelles est subordonnée l'exécution d'une coupe autorisée ou assise en vertu des articles L. 312-2, L. 312-4 et L. 312-5 ne sont pas respectées dans le délai fixé ou, à défaut, dans les cinq ans à compter du début de l'exploitation, ceux qui ont vendu les bois ou les ont exploités eux-mêmes sont passibles d'une amende de 2 000 euros par hectare exploité. »
Le tribunal a fait droit aux conclusions des associations, qui dénonçaient que les coupes réalisées ont méconnu l’arrêté d'autorisation de coupe dès lors que :
seuls les plus beaux arbres ont été abattus cependant que, dans le même temps, la végétation et les jeunes arbres situés à proximité des travaux ont été fortement abimés, en violation de l’alinéa 1er de l’article 2 de l’arrêté n’autorisant qu’une coupe d’amélioration ;
les arbres qui ont été coupés étaient quasi exclusivement des chênes et 96 grumes de chênes plus que centenaires ont été alignées dans la partie sud de la parcelle AK 127, le long de la rue des Bois, soit un volume de 190 et 280 m3 selon les techniciens forestiers de l’ONF commissionnés et assermentés, excédant très largement le volume de 120 m3 autorisé par l’alinéa 2 de l’article 2 de l’arrêté ;
la DDT 78 n’a pas été prévenue du démarrage des travaux 48h avant ce dernier, comme l’imposait pourtant l’article 3 de l’arrêté ;
aucune autorisation n’a été affichée sur le terrain, en violation de l’article 5 de l’arrêté imposant un affichage sur le terrain pendant les travaux d’exploitation ;
les travaux litigieux ont au surplus été réalisés sans accord sur un plan de coupe, ni repérages contradictoires des arbres à abattre, sans information de la Mairie.
S'agissant du délit de coupes abusives, il résulte de la lecture combinée des articles L362-1, L312-11 et L124-5 du Code forestier disposant que :
Article L362-1 : « Le fait de procéder à une coupe abusive définie à l'article L. 312-11 est puni d'une amende qui ne peut être supérieure à quatre fois et demie le montant estimé de la valeur des bois coupés dans la limite de 20 000 euros par hectare parcouru par la coupe pour les deux premiers hectares et de 60 000 euros par hectare supplémentaire. […] »
Article L312-11 : « Une coupe effectuée en méconnaissance des dispositions des articles L. 124-5 et L. 312-9 est une coupe illicite et abusive. »
Article L124-5 : « Dans les bois et forêts ne présentant pas de garantie de gestion durable, les coupes d'un seul tenant supérieures ou égales à un seuil fixé par le représentant de l'Etat dans le département et enlevant plus de la moitié du volume des arbres de futaie ne peuvent être réalisées que sur autorisation de cette autorité, après avis, pour les bois et forêts des particuliers, du Centre national de la propriété forestière ».
Le Tribunal a fait droit aux demandes des associations, qui dénonçaient en particulier que :
les coupes délictuelles ont eu lieu dans une forêt ne présentant pas de garantie de gestion durable et viole ainsi les prescriptions susmentionnées, et correspond à une coupe d’un seul tenant de plus de la moitié du volume des arbres de futaie ;
ces travaux ont porté une atteinte grave, immédiate et irréversible à la qualité environnementale du site et de son milieu environnant, à la faune, à la flore et à la biodiversité en favorisant le mitage dans la zone, du fait de la coupe de 96 chênes centenaires coupés, mais aussi des dommages collatéraux causés par le manque de soins pris pendant la coupe sur la parcelle, avec de nombreux arbres cassés, blessés et des jeunes arbres écrasés ;
c’est tout un écosystème qui a été partiellement détruit et profondément altéré, et ce, de manière irréversible.
Réparation du préjudice écologique
Les prévenus ont surtout été condamnés à réparer le préjudice écologique. Le Tribunal a ordonné la remise en état des parcelles endommagées, avec la replantation de 96 chênes et d’autres jeunes arbres.
Les responsables disposent de six mois pour effectuer ce reboisement, sous le contrôle de la Commune et en respectant les prescriptions de l’Office national des forêts (ONF). En cas de retard, ils seront pénalisés d'une astreinte de 500 euros par jour.
Si le Tribunal a ainsi ordonné la réparation primaire du préjudice écologique (remise en état), il a toutefois refusé sans motivation de faire droit aux demandes des associations de réparation secondaire du préjudice écologique, c’est à dire la réparation des préjudices causés à l’environnement entre le moment où les infractions ont été commises et le jour où la réparation primaire interviendra, et donc où l’état boisé aura retrouvé son état d’origine et où sa qualité et la biodiversité seront rétablies.
Cette réparation secondaire devrait pourtant s'imposer pour les atteintes environnementales qu'une simple remise en état ne permet pas de réparer intégralement.
Conclusion
Les sanctions des coupes illégales restent relativement rares, en particulier au regard de la difficulté d'apporter la preuve de l'identité des auteurs et de l'ampleur des coupes, souvent réalisés sur de très brèves durées et de manière dissimulées.
Cette victoire du 21 décembre 2022 résulte de la mobilisation de la société civile à travers les bénévoles des associations locales de défense de l'environnement, ainsi que de l'administration avec l'intervention efficace de la commune.
Reste à espérer qu'elle dissuade les entrepreneurs et propriétaires forestiers tentés de gagner de l'argent au détriment de l'environnement, et qu'elle inspire les communes et associations, ainsi informées de leur capacité d'agir contre l'impunité qui règne trop souvent sur les travaux réalisés en forêt.
Pour plus de détails, consultez :
l'article complet publié dans Le Parisien : Chênes centenaires abattus à Grosrouvre : les trois hommes ont six mois pour reboiser les parcelles détruites
la brève publiée sur le site de l'association JADE : Chênes abattus à Grosrouvre : la justice condamne les responsables
le texte complet du jugement :
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