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Dispenses de peine pour des jets de peinture place Beauvau : première victoire incomplète dans l'attente de l'issue de l'appel (T.corr. Paris, 23 septembre 2025)

  • Photo du rédacteur: Marion Giard
    Marion Giard
  • 24 sept.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 heures

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A l’occasion de la rentrée ministérielle de septembre 2023, six militants de l’association « Dernière Rénovation » ont aspergé de la peinture à l’eau orange sur la place Beauvau afin d’interpeller les ministres et les médias quant à l’inaction de l’Etat face au changement climatique.

 

Cette action de désobéissance civile s’inscrivait dans une campagne nationale menée par l’association en faveur de la rénovation thermique des bâtiments, qui figure parmi les objectifs prioritaires retenus par la Convention citoyenne pour le Climat.

 

Pour rappel, la désobéissance civile est un mode d’action visant à transgresser de façon non-violente une loi ou un règlement en vigueur dans le but d’induire un changement social. Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU pour les défenseurs de l’environnement, définit la désobéissance civile comme : «  des actes de violation délibérée de la loi, concernant une question d'intérêt public, menés publiquement et de manière non violente ».

 

Les six activistes ont été immédiatement interpellés, menottés sur la voie publique et placés en garde à vue du chef de dégradation ou détérioration de bien destiné à l’utilité ou à la décoration publique. Les militants ont ensuite été renvoyés devant le Tribunal judiciaire de Paris.

 

Moyens développés en défense des activistes du climat.

 

Le cabinet TerraNostra, ainsi que deux autres confrères du barreau de Paris et de Strasbourg, ont assuré la défense pénale de ces militants, plaidant la relaxe des prévenus sur le fondement de l’état de nécessité et de la liberté d’expression.

 

En premier lieu, l’état de nécessité est un fait justificatif, c’est-à-dire une cause d’exonération de la responsabilité pénale, prévue par l’article 122-7 du code pénal, lequel dispose que :

 

« N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

 

L’état de nécessité a déjà été admis par la jurisprudence dans de précédentes affaires d’actions de désobéissance civile menées par des militants écologiques, comme les Faucheurs d’OGM dans les années 2000, ou plus récemment concernant les Ecureuils, ces militants qui se sont installés dans des arbres pour empêcher leur abattage dans le cadre du chantier de l’autoroute A69.


Dans le cas d’espèce, les jets de peinture par les militants nous paraissent devoir être considérés comme nécessaires face à au danger que représente le réchauffement climatique. En effet, ces actions ont connu un retentissement médiatique fort, ce qui a permis de mettre la question de la rénovation thermique à l’agenda politique et d’obtenir des résultats concrets, comme l’adoption d’amendements législatifs. Enfin, aucun dommage n’étant à déplorer, on ne peut considérer qu’il existerait une disproportion entre l’acte poursuivi (les jets de peinture) et la gravité de la menace (le réchauffement climatique).    

 

En second lieu, la liberté d’expression est une liberté fondamentale, pilier de nos démocraties modernes, garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ainsi que par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

 

Une action, même illégale, peut être couverte par la liberté d’expression, dès lors qu’elle poursuit un objectif de protestation politique. Il appartient alors au juge d’apprécier si l’incrimination de cette action constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause. La Cour européenne des droits de l’Homme rappelle de façon constante que les instances nationales doivent faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale lorsque la liberté d’expression est en jeu.

 

Dans le cas d’espèce, une condamnation des militants, même si elle ne s’accompagne que d’une sanction symbolique ou d’une dispense de peine, nous parait devoir être regardée comme une ingérence disproportionnée à l’exercice de la liberté d’expression dès lors que la revendication politique est clairement énoncée et que l’action menée était non-violente, éphémère et n’a entrainé aucun dommage (aucune partie civile ne s’est d’ailleurs constituée).

 

Le jugement : pas de relaxe mais une dispense de peine pour les militants écologistes.

 

Cependant, par un jugement rendu le 23 septembre 2025, la 28ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a considéré que ni l’état de nécessité ni une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression n’était en l’espèce caractérisé. Les militants ont donc été reconnus coupables des faits de dégradation d’un bien destiné à l’utilité publique. Le Tribunal a néanmoins dispensé  les prévenus de peine au regard du contexte dans lequel s’inscrivait leur action.

 

Si l'on peut se féliciter de l'absence de peine prononcée, cette décision demeure insatisfaisante et s’inscrit dans un contexte inquiétant de durcissement du droit à l’égard des militants écologistes.

 

Ce durcissement se manifeste, d’une part, par des poursuites systématiques de la part du parquet, même pour des faits minimes n’ayant généré aucun ou très peu de dommage, et d’autre part, par des décisions de plus en plus sévères rendues par les juridictions. L’une des militantes a d’ailleurs, dans une affaire parallèle concernant une autre action de jet de peinture, été condamnée à six mois d’emprisonnement ferme. Du jamais vu en la matière.

 

Cette évolution est manifestement l'écho du fantasme populiste de l'existence d' "écoterroristes" véhiculé par l'extrême droite et repris par le pouvoir en place.

 

Cinq des six militants poursuivis ont formé appel contre le jugement du 23 septembre 2025, dans l’espoir d’obtenir une décision de relaxe pure et simple devant la Cour d’appel de Paris.

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